Genèse d’un nouveau roman – partie 2 – Le baron Dubaret

portrait de Louis-Nicolas du Baret
Le baron Dubaret

Elle a raison, le mémoire vaut le déplacement.

Je me lance avec délectation dans la lecture des griefs de madame envers monsieur, épisodes tragi-comiques que l’auteur du mémoire, Alphonse Paillet, expose avec beaucoup d’ironie avant de les démonter un par un. C’est d’ailleurs le but de l’ouvrage : le travail d’Alphonse sera le “script” des avocats de Charles Paillet au procès, le document de référence. Ces griefs sont suivis des griefs de monsieur envers madame, beaucoup plus graves d’après son avocat et frère.

Je retranscris ici quelques griefs :

  • Injures à l’occasion de la seconde grossesse
  • Injures à l’occasion de la mort du premier fils
  • Violences, fricassée de lapin
  • Emportements, verre d’eau froide, fausse couche
  • Guerre quotidienne contre les portes et les meubles
  • Violences, bonnet déchiré, coup de pied merveilleux
  • Froideur et dédain, jambe cassée

    J’emporte le précieux document avec la permission de la conservatrice pour bien comprendre les faits et pouvoir lire à mon aise ce morceau de bravoure à la mode de l’époque, emphatique et imagé, presque du Balzac !

Mais pourquoi ce procès ? Aurore Boulée, épouse infidèle, a quitté son mari pour un autre homme un matin de janvier 1826. Cet homme, c’est Louis-Nicolas du Baret de Limé, (devenu Dubaret depuis la Révolution, portrait en début d’article). Il a 58 ans, il est âgé mais encore beau, charismatique, riche et séducteur. Venu à Soissons pour affaires, il remarque deux choses chez son notaire, maître Paillet : il a une femme charmante et semble très attiré par les honneurs et les décorations. Se targuant d’une influence (imaginaire) auprès du roi Charles X, Dubaret fait miroiter à mon ancêtre une croix de la légion d’honneur afin de se faire admettre chez lui et devenir un familier de la maison.

Portrait de Charles Paillet (entre 1830 et 1850) et portrait imaginaire d’Aurore Boulée à 17 ans, en 1813, au moment de son mariage (IA)

Le divorce, aboli en 1816, n’a laissé aux déserteuses conjugales qu’une seule possibilité pour obtenir une séparation de corps : prouver devant un tribunal que leurs maris les brutalisent ou qu’ils entretiennent une maîtresse sous le toit conjugal. Aurore tente sa chance et accuse son époux des deux faits mais Charles, épaulé par son frère Alphonse, se défend avec la dernière énergie. Non qu’il veuille récupérer cette épouse infidèle et parjure, mais il tient en revanche à briser Dubaret, l’amant, cet homme qui s’est joué de lui et de ses ambitions pour mieux séduire sa femme.

Ce mémoire m’apprend beaucoup de choses sur la vie d’une maison bourgeoise dans la première moitié du 19e siècle. Chaque détail y est consigné, chaque fait est raconté avec un contexte largement décrit. Aurore et Charles, avant leur mésentente, ont eu la douleur de perdre deux fils d’une maladie oubliée aujourd’hui, le croup, une forme de diphtérie souvent fatale aux enfants.

L’acharnement de Charles Paillet à vouloir traîner son rival devant les tribunaux porte finalement ses fruits : à l’issue d’une scène rocambolesque largement relayée par les journaux de l’époque et dont je ne vous dirai rien ici, un procès pour adultère s’ouvre en 1830.

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