Le portrait d’Eliza Parroisse
L’intrigue de mon roman précédent, La Forêt de Tronçais, se déroule en grande partie aux Cabottes, hameau rural du bourbonnais où se trouve la maison d’Amarante Lambert, grand-mère du personnage principal. Si cette maison-là est née de mon imagination, une véritable demeure de famille existe dans l’Allier, à Saint-Bonnet-Tronçais, à quelques kilomètres des Cabottes. Ma propre grand-mère, dont je me suis inspirée pour créer le personnage d’Amarante, y a passé toute sa jeunesse et ne l’a quittée qu’à son mariage.
Pour imaginer Amarante, j’ai eu besoin de comprendre la vie rurale mais bourgeoise que ma grand-mère, jeune, mena dans cette belle demeure enfouie dans le bois qui surplombe l’étang de Saint-Bonnet. J’ai donc entrepris une visite poussée de l’immense grenier de la maison de famille, à la recherche de traces du passé. Meubles, dentelles, vaisselle, une véritable brocante m’attendait sous les combles mais j’y ai surtout découvert des archives familiales en très bon état, albums photos, lettres et journaux intimes, soigneusement rangés et entreposés là depuis la fondation de la maison au début du 20e siècle.
J’exhume par exemple, d’une boîte en soie verte défraîchie, un petit cadre en poirier noirci contenant la photo sépia d’une femme que je ne connais pas. Âgée, elle a les yeux clairs, elle est vêtue d’une robe de dentelle noire brodée de perles de jais et porte, de part et d’autre du visage, deux énormes macarons de faux cheveux blancs sous un turban de velours noir. Tout cet attirail est encore surmonté de plumes et de rubans.
Au dos du cadre, je trouve une inscription de la main de la grand-mère qui identifie Eliza Parroisse, femme d’Alphonse Paillet. Je trouve dans la même boite une mèche de cheveux bruns et brillants, soigneusement rangée dans une enveloppe ancienne, légendée Cheveux de Victoire Aurore Boulée. Ces reliques m’intriguent. Je n’ai jamais entendu parler de ces femmes, j’ignore quel est notre lien de parenté si toutefois nous en avons un.
Mon enquête commence : j’apprends sur Wikipédia qu’ Alphonse Paillet est un avocat originaire de Soissons qui eut son heure de gloire entre 1830 et 1850. Une rue de Paris porte même son nom. J’établis sans trop de peine que mes ancêtres directs sont Charles Paillet, frère aîné d’Alphonse, et Victoire Aurore Boulée, sa femme. Ce lien de parenté explique la transmission de la mèche de cheveux (sur 6 générations, tout de même).
Je mets en ligne mon arbre généalogique avec la photo d’Eliza Parroisse et tous les renseignements que j’ai pu glaner sur mon ascendance mais, à peine terminée, mon enquête est relancée par le message d’une adhérente de la Société historique de Soissons, ville d’origine des Paillet, qui se montre très intéressée par la provenance du portrait. La seule image d’Eliza connue alors, me dit-elle, est un tableau à l’huile où elle est jeune femme.
Nous discutons.
Elle m’apprend qu’il existe, aux archives de la société historique de Soissons, un document daté de 1829 intitulé « Mémoire pour Charles Paillet, défendeur, contre sa femme demanderesse en séparation de corps » dont l’auteur est Alphonse Paillet, l’avocat de la famille. Mes ancêtres ne vivaient donc pas en parfaite harmonie, semble-t-il. Elle me confie que la seule énumération des griefs des époux mérite le déplacement.
L’enquête reprend, je pars pour Soissons.
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(photo extraite de mes archives familiales)